Publié par Radio-Canada avec des informations de Jessica Chen
À quelques jours de la rentrée, il manque encore des enseignants francophones en Ontario
À quelques jours de la rentrée scolaire, la présidente de l’Association des directions et directions adjointes des écoles de langue française de l’Ontario (ADFO), Stéphanie Sampson, tire la sonnette d’alarme par rapport à la pénurie d’enseignants francophones dans la province.
« On a besoin de pistes immédiates, concrètes, pratiques, afin d’adresser la situation, parce qu’encore une fois, au mois de septembre, nous savons qu’il y aura des groupes qui ont des enseignants ou du personnel non qualifiés », dit-elle.
Des pertes au niveau de l’apprentissage sont possibles et pourraient avoir un impact de très longue durée sur les élèves du système ontarien, selon Mme Sampson.
Mais si les représentants du milieu scolaire franco-ontarien s’inquiètent, les conseils scolaires, eux, assurent avoir la situation en main.
Le Conseil scolaire Viamonde, par exemple, a indiqué qu’il lui restait actuellement un peu moins de 20 postes en enseignement à pourvoir, pour un nombre d’élèves similaire à celui de l’an dernier. Des données qui « évoluent de jour en jour », précise le conseil.
Même son de cloche pour le Conseil des écoles publiques de l’Est de l’Ontario (CEPEO), qui se dit « confronté à des enjeux de recrutement de personnel », mais précise que la « grande majorité des postes sont comblés ».
Une hausse de la demande en cause
Pour Anne Vinet-Roy, présidente de l’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens (AEFO), ces lacunes s’expliquent en partie par une augmentation de la demande d’enseignement en langue française.
Entre 2006 et 2020, la part de marché des écoles de langue française est passée de 4,3 % à 5,5 %, précise-t-elle. Une augmentation de la demande pour laquelle l’offre n’a pas suivi.
Au contraire, le nombre d’enseignants nouvellement qualifiés pour enseigner en français est passé de près de 1000 en 2015 à environ 600 en 2022. En 2015, la province a actualisé la formation à l’enseignant, doublant la durée des programmes et réduisant de moitié les admissions.
À l’époque, la mesure était destinée à résorber l’offre excédentaire de diplômés en enseignement de l’Ontario. Mais elle a eu un « impact important dans le système francophone », témoigne Stéphanie Sampson.
Si la pénurie de main-d’œuvre touche le système francophone depuis plus longtemps, elle touche aussi le système anglophone et le secteur de l’éducation dans sa globalité depuis la pandémie, estime la présidente de l’ADFO. Les conditions de travail des enseignants y seraient pour quelque chose.
« Le personnel parle de l’augmentation de la violence et de manque de respect dans nos écoles, donc c’est certain que les conditions de travail du personnel scolaire ont un impact sur la rétention […] Ce n’est plus nécessairement une profession séduisante »
– Stéphanie Sampson, présidente de l’Association des directions et directions adjointes des écoles de langue française de l’Ontario
Un propos corroboré par la présidente de l’AEFO. « 30 % des diplômées et des diplômés des programmes de formation en langue française ne renouvellent pas leur certificat de qualification après cinq ans », selon Anne Vinet-Roy, citant les dernières données de l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario.
Conséquences : à court terme, les écoles se retrouvent constamment face au défi de pourvoir des postes vacants et à plus long terme, la qualité de l’enseignement ne peut pas être assurée, en particulier lorsque les postes vacants sont occupés par des personnes non qualifiées.
De nouvelles responsabilités pour les directions
Les directions d’écoles se voient même confier la responsabilité de superviser les élèves lorsque les écoles ne sont pas en mesure de pourvoir les postes, rapportait le Conseil des écoles catholiques du Centre-Est (CECCE) au mois de juin.
Des conditions qui représentent une charge de travail plus importante encore des équipes au sein des écoles, ce qui a des répercussions sur leur bien-être et donc a une incidence sur la rétention du personnel, créant alors un cercle vicieux.
« La pénurie de personnel enseignant met en péril la réussite des élèves », s’inquiète Anne Vinet-Roy, qui rappelle que l’offre d’une éducation de qualité en français relève des obligations constitutionnelles du gouvernement envers l’éducation dans la langue de la minorité.
En réponse, le ministère de l’Éducation rappelle que l’Ontario a lancé une stratégie de recrutement et de maintien en poste des enseignants francophones et qu’elle a augmenté le nombre de places dans les programmes d’enseignement.
À l’Université de l’Ontario français, par exemple, les 40 places supplémentaires du programme d’enseignement sont toutes occupées.
Le ministère ajoute avoir constaté entre janvier 2023 et juin 2024 l’embauche de « 82 enseignants supplémentaires par les conseils scolaires de langue française, pour un total de 118 nouvelles recrues. »
Des mesures insuffisantes, selon Anne Vinet-Roy.
« 1050 personnes devraient être formées par année, et ce, pour les quatre prochaines années, afin de remédier à une partie du problème. »
– Anne Vinet-Roy, présidente, AEFO
Le gouvernement doit mettre en œuvre l’ensemble des 37 recommandations du rapport du Groupe de travail sur la pénurie du personnel enseignant dans le système d’éducation en langue française selon elle et Stéphanie Sampson.
Mme Sampson souligne, d’autre part, l’importance de la valorisation du métier. « Il faut faire en sorte que les gens s’intéressent et veulent rester dans la profession enseignante, et donc qu’ils vont s’épanouir au sein de la profession et avancer. »
Pour elle, au-delà d’un salaire attractif, il faut faire une évaluation des attentes de la nouvelle génération qui entre dans la profession et rapidement : « Nous croyons vraiment être à un point de rupture. »
« Ce n’est plus qu’une pénurie, c’est vraiment une crise dans le système éducatif public ontarien. Nous devons agir », croit Mme Sampson.
Avec des informations de Jessica Chen