Pénurie d’enseignants francophones en Ontario : « une anxiété quotidienne »

La pénurie d’enseignants francophones en Ontario cause « une anxiété quotidienne » aux directions d’école. L’Association des directions et des directions adjointes des écoles franco-ontariennes (ADFO) s’inquiète de l’avenir du milieu scolaire si le statu quo demeure.

L’association professionnelle souhaite des mesures concrètes d’ici la prochaine rentrée.

« Les membres de la direction doivent tous les jours [consulter] les listes du personnel absent et de postes non comblés », raconte sa présidente, Stéphanie Sampson. « Certains doivent consulter ces listes à 5 h ou 5 h 30 du matin, avant le début de leur journée. »

Il y a des options : les suppléants, le personnel de soutien, les retraités et le personnel non qualifié en dernier recours. Dans les rares cas où aucun remplaçant n’est trouvé, il faut jumeler des classes, voire en fermer, affirme-t-elle.

« C’est un travail qui s’ajoute à leurs responsabilités quotidiennes », soutient Mme Sampson, ce qui pousse certaines directions à quitter la profession.

« En plus de faire des tâches d’une direction d’école, on doit combler ces postes vacants, ce qui fait en sorte que les directions scolaires doivent faire leurs tâches après la journée d’école. Ça nuit à l’équilibre travail-famille », explique-t-elle. « Au niveau de la santé mentale, on voit une augmentation de l’utilisation des services. »

 

« Quand on est en train de jumeler des groupes ou d’assurer la supervision des élèves avec des membres qui ne sont pas qualifiés […], la qualité de l’enseignement n’est pas à la hauteur des attentes ou des droits des élèves. »

– Stéphanie Sampson, présidente de l’ADFO

 

Selon l’ADFO, la liste de suppléants qualifiés rétrécit d’année en année. Pourquoi? En raison du nombre de diplômés, croit-elle.

Il attribue en partie ce manque à la décision de 2015 du gouvernement ontarien de l’époque de réduire de moitié le nombre de diplômés en enseignement en plus d’ajouter une année d’études au cursus.

Vingt ans auparavant, « il y [avait] un surplus de personnel qualifié. Les listes de suppléance étaient en bonne santé », affirme Mme Sampson. La pandémie a exacerbé cette pénurie d’enseignants.

 

Difficile de trouver des remplaçants

Prenons l’exemple du Conseil des écoles catholiques du Centre-Est (CECCE). Il assure s’en sortir plutôt bien comparativement à d’autres conseils scolaires dans la province pour ce qui est de la pénurie de personnel, même s’il reste des postes à pourvoir en vue de la prochaine rentrée.

Son principal défi, c’est de combler les absences au quotidien, selon le directeur général des ressources humaines du CECCE, Jean-Éric Lacroix.

« Il arrive souvent qu’il y ait des tâches qui ne sont pas prises par les suppléants », indique-t-il. « Chaque jour, ça peut arriver que les écoles soient obligées de réorganiser les services à l’interne pour s’assurer de la sécurité des élèves. »

Questionné sur l’anxiété des directions d’école, M. Lacroix répond qu’il la ressent lui aussi.

« Je reçois chaque matin les statistiques de ce qu’on appelle des tâches ouvertes, des tâches où l’enseignant est absent et dont personne n’a pris la charge », lance-t-il.

 

« Ça peut aller d’une vingtaine à une cinquantaine de tâches. Quand il n’y a pas trop de tâches ouvertes, on sait que cette journée va être plus simple pour les directions et l’organisation scolaire. »

– Jean-Éric Lacroix, directeur général des ressources humaines au CECCE

 

« Parfois, le problème, c’est que la tâche a été prise mais est abandonnée à la dernière minute par un suppléant », explique le directeur. « On croyait qu’on avait tout notre monde, puis finalement, non. »

Il avance qu’en moyenne, une trentaine de tâches sont ouvertes, soit des classes sans enseignants.

 

Inquiétudes pour la qualité des services aux élèves

D’autres membres du personnel des écoles du CECCE donnent parfois un coup de main quand il n’y a aucun enseignant pour une classe, par exemple les surveillants du dîner ou du personnel administratif.

« On va dépanner en salle de classe jusqu’à ce qu’on trouve quelqu’un, mais on sait que ce ne sera pas la même qualité d’enseignement », admet M. Lacroix. Ce personnel peut être en classe une partie de la journée, jusqu’à ce qu’un suppléant soit trouvé.

M. Lacroix aimerait que la qualification soit reconnue plus rapidement. « Si les processus sont accélérés, j’ai du personnel qualifié sur les listes », dit-il. Il souhaite aussi qu’il y ait davantage de places dans les programmes en français dans les universités.

« L’anxiété, c’est de savoir si les élèves à qui on va enseigner vont avoir tous les services dont ils ont besoin ce jour-là », confie quant à elle la présidente de l’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens (AEFO), Anne Vinet-Roy.

Elle se désole que ce soit l’ensemble du personnel en milieu scolaire qui subisse les contrecoups de la pénurie.

 

« Les francophones ont droit à une éducation de la même qualité que celle qui est offerte à la langue de la majorité. Ce n’est pas le cas présentement. »

– Anne Vinet-Roy, présidente de l’AEFO

 

Malgré leur dévouement et leurs bonnes intentions, « il y a des limites à ce qu’on peut faire humainement pour s’assurer de continuer à répondre aux besoins ».

 

Le gouvernement ontarien rappelle ses actions

Le cabinet du ministre de l’Éducation de l’Ontario rappelle sa stratégie de 2021 en matière de recrutement et de maintien en poste des enseignants francophones.

Une porte-parole du ministère écrit dans un courriel que le gouvernement « a augmenté le financement aux niveaux les plus élevés de l’histoire de la province tout en soutenant l’embauche de 9000 employés supplémentaires dans le secteur de l’éducation depuis 2018 ». Le nombre d’enseignants francophones n’est pas précisé.

Pour faire face au « défi national de l’absentéisme des enseignants », son cabinet dit avoir notamment réduit de moitié les délais de traitement des candidatures nationales et étrangères et permis aux étudiants de deuxième année en enseignement de travailler.

 

Solutions proposées

Mme Vinet-Roy croit qu’il y a un manque de volonté politique pour mettre en œuvre les 37 recommandations du Groupe de travail sur la pénurie des enseignants dans le système d’éducation en langue française de l’Ontario, publiées en 2021.

« Il y a encore beaucoup de choses qui doivent être faites pour répondre aux besoins réels du marché », croit-elle.

 

Stéphanie Sampson se désole pour sa part que ces recommandations ne soient pas mises en œuvre plus rapidement.